I. — Les Juridictions.
Au VIe siècle, l'administration de la justice incombe toujours aux gouverneurs des provinces et aux fonctionnaires placés sous leur autorité. Les ducs d'Égypte deviennent donc des juges en même temps qu'ils reçoivent les pouvoirs civils. Leur tribunal est dans le duché le plus important des tribunaux locaux (δικαστήρια ἐπιχώρια)1. Ils y exercent la juridiction criminelle supérieure, ils décident des contestations survenues entre les fonctionnaires, placés dans les subdivisions du duché et leurs administrés, des litiges relatifs à l'administration financière, par exemple; ils jugent les causes civiles importantes et spécialement celles où sont mêlés les officiers ou les soldats2.
On peut se rendre compte, d'après les pétitions sur papyrus adressées aux ducs de Thébaïde, de la diversité des affaires, souvent de minime importance, qui pouvaient être ainsi portées devant le tribunal ducal. On voit les sénateurs d'Ombos réclamer au duc Flavios Marianos le châtiment d'un certain Kollouthos, qu'on soupçonne d'ailleurs de paganisme; il a excité les Blemmyes contre les habitants de la ville et, avec l'aide des pillards barbares, il a opéré une razzia dans le pays1. Les plaintes des gens d'Aphrodito contre les pagarques2, celles des habitants d'Antaiopolis contre un stratège3, aboutissent au tribunal ducal avec les nombreuses réclamations des contribuables molestés par les fonctionnaires. Une veuve en appelle au duc contre la municipalité de son village qui lui impose des corvées dont elle se prétend exempte4; le fermier d'un grand domaine se plaint d'avoir été dépouillé par les héritiers de son maître et contraint de payer des impôts qui ne doivent pas être à sa charge5. Une veuve, habitante d'Aphrodito, demande justice au duc contre un βοηθός du village qui lui a pris son enfant et refuse de le lui rendre6. C'est également devant le tribunal ducal que les moines d'un couvent de Thébaïde font valoir leurs droits sur un terrain à eux légué dont on leur conteste la propriété7, et qu'un moine du couvent de Saint-Jérémie, à Antaiou, dénonce des violences dont il aurait été victime8.
Dans la Vie de l'abbé Daniel, on trouve l'histoire d'un humble moine très pieux, injustement accusé d'avoir dérobé des vases sacrés. L'économe chargé de le punir le remet entre les mains du duc qui le fait soumettre à la torture sans pouvoir lui arracher l'aveu du crime qui lui est reproché9.
Le duc prend connaissance des affaires portées à son tribunal par les mémoires (διδασκάλια) qu'on lui adresse10. Les requêtes et les plaintes aboutissent à un bureau spécial de l'officium: le scrinium a libellis1. Le personnage le plus important de ce bureau est, semble-t-il, le magister, qui a le titre de comte2. On lui adresse même des pétitions, ou du moins c'est par son intermédiaire qu'on les adresse au duc3. Pratiquement, c'est du magister que dépend la transmission de l'affaire au tribunal. Ainsi, la pétition envoyée au magister du duc de Thébaïde par les gens d'Antaiopolis qui avaient à se plaindre du stratège Florentios, n'a point suivi son cours: leurs plaintes ont été étouffées et ils doivent recommencer leurs démarches en envoyant au duc en personne une second pétition4.
Le bureau du commentariensis de l'officium ducal est spécialement affecté aux affaires criminelles. C'est le commentariensis attaché aux bureaux du duc augustal d'Égypte qui est chargé de poursuivre les émeutiers d'Alexandrie et les fauteurs de désordres qui se seraient réfugiés à Ménélaïtes ou à Maréotis5. Le βοηθὸς τῶν κομμέντων est sans doute un employé placé sous les ordres du commentariensis6.
Auprès du duc siège son conseiller juridique (ad responsum)7. Des avocats (σχολαστικοί) sont attachés au tribunal ducal8. Les plaignants peuvent avoir recours, dans certains cas, au topotérète délégué par le duc9, bien que l'usage des topotérètes ne fût point légal10. Ces lieutenants étaient-ils envoyés par le duc dans telle ville de sa province, ou siégeaient-ils en son lieu et place au tribunal sis dans la capitale du duché? Rien ne permet d'adopter une hypothèse à l'exclusion de l'autre. On peut seulement remarquer que l'envoi du topotérète dans les diverses villes du duché, n'a rien d'incompatible avec le fait que, dans chacune de ces dernières, réside un pagarque. La compétence du pagarque ne saurait en effet tenir lieu de celle du topotérète, qui représente le duc1.
Ce dernier peut-être amené d'ailleurs à rendre lui-même la justice sur place lors de ses tournées d'inspection à travers le pays2; mais on ne trouve pas trace dans les textes du VIe siècle du conventus régulier, connu au temps du Haut-Empire. Certain duc qui apparaît dans la vie de Schnoudi3 usait naguère d'une procédure des plus expéditives: comme il remontait le Nil, on lui présente un certain nombre de voleurs; il les fait hâtivement mettre à mort en passant. Ces formes rapides de la justice ne paraissent point avoir été régulières au VIe siècle. Il semble que l'exécution des sentences ducales devait légalement être poursuivie soit par le topotérète délégué sur place, soit par le pagarque administrant le lieu où résident les parties. Une requête, adressée au duc de Thébaïde par les moines du couvent des Apôtres Christophores, se termine ainsi: que le duc veuille intimer au pagarque et au topotérète d'Antaiou l'ordre d'exécuter la sentence prononcée par lui4.
Depuis que le duc, en recevant les pouvoirs civils jadis attribués exclusivement au praeses, est devenu le juge suprême dans sa province, le praeses paraît bien avoir perdu ses prérogatives en matière juridique. Il n'est plus que le subordonné du duc5. Le délégué du praeses de Libye à Ménélaïtes et à Maréotis a cependant le pouvoir de décider des causes des deux ordres1; mais les papyrus n'offrent point d'exemples précis de la compétence juridique du praeses. Bien qu'il semble être question du tribunal du praeses dans un texte du VIIe siècle2, on ne saurait conclure des affaires où on le voit intervenir que son rôle soit celui d'un juge3.
Il n'y aurait donc pas de tribunal intermédiaire entre le tribunal ducal, où siège le duc qui a la juridiction criminelle supérieure, avec la juridiction civile, et les tribunaux des pagarques et des defensores, qui posssèdent la juridiction criminelle inférieure et en partie la juridiction civile.
On trouve en effet dans la pagarchie deux tribunaux, celui du pagarque et celui du defensor civitatis (ἔκδικος). Il est fort malaisé, faute de documents, de définir les rapports qui existent entre ces deux juridictions. Faut-il supposer que venaient aboutir au tribunal du pagarque les affaires survenues entre les gens de la χώρα, alors que la compétence du défenseur se bornait strictement à décider des contestations survenues entre les habitants de la cité?
En fait, les textes nous montrent que le pagarque exerçait les fonctions de juge de paix. On lui adresse les actes de cautionnement par lequel on répond de telle personne4, et aussi des plaintes5. Les attributions judiciaires du defensor civitatis sont connues exactement, grâce à la Novelle XV de Justinien.
Désormais la compétence du défenseur est à la fois civile et criminelle. Au civil, il peut connaître de toutes les affaires pécuniaires jusqu'au chiffre de trois cents sous d'or, alors qu'avant la Novelle XV il ne pouvait décider que des minores causae jusqu'à concurrence de cinquante sous d'or1.
A partir de 535, la compétence du défenseur est exclusive de celle du praeses de l'éparchie2. On peut se demander si, en Égypte, les rapports du défenseur et du praeses sont restés ce qu'ils étaient en 535, après la réforme de l'Édit XIII qui diminua singulièrement l'importance des fonctions du praeses.
Avant la Novelle XV, il était interdit aux défenseurs de prononcer des amendes dans les affaires criminelles. Justinien leur permettait seulement d'infliger la torture, à condition toutefois que celle-ci ne fût point trop cruelle. D'après les prescriptions de la Novelle XV, les défenseurs des cités égyptiennes acquièrent, de même que tous les défenseurs de l'Empire, la compétence pour juger les délits peu graves (ἐλαφρότερα ἐγκλήματα) et faire exécuter la peine encourue. S'il s'agit d'un crime important, le défenseur peut seulement arrêter le coupable, le faire mettre en prison et le déférer au tribunal du praeses, aux termes de la Novelle XV3. Tel est le cas qui se présente dans un texte, une pétition dans laquelle il est demandé au défenseur d'examiner la victime d'une agression, un certain Sourous qui a été «à moitié assassiné» et de faire connaître les faits au praeses afin qu'il puisse juger le fait4. Le défenseur est préposé en outre à la direction des acta5. Il a qualité pour recevoir les actes de cautionnement1 et délivrer des déclarations (ἐκσφραγίσματα)2. Les papyrus nous le montrent dans l'exercice de ses fonctions de juge de paix. Il intervient ainsi dans les différends survenus dans le pays3, reçoit les plaintes des victimes de voies de fait4, règle des questions d'administration financière5.
Son assistant (βοηθός) peut prendre part aux débats dans les audiences1. Il semble que, dans la pratique, le defensor ait été choisi parmi les avocats2, puisqu'il porte le titre de σχολαστικός.
Dans les villages, les riparii, qui sont proprement les chefs de la police locale, exercent toutefois le pouvoir judiciaire dans quelque mesure. Ils reçoivent des pétitions des gens du village3. Après un examen rapide de la cause, le riparios peut obliger les accusés à réparer le dommage qu'ils ont causé. S'ils résistent, il les envoie à la ville pour être jugés par le défenseur ou le pagarque. En attendant que les accusés comparaissent devant le tribunal, le rôle du riparios consiste à les faire surveiller, sous caution probablement, pour prévenir leur disparition volontaire avant le jugement4. Tel est le sens peut-être qu'il faut donner aux actes de cautionnement que l'on voit remettre au riparios5.
Pour les simples contestations, les parties se mettent quelquefois d'accord pour recourir à l'arbitrage devant des gens choisis par elles. On voit ainsi des parties s'en rapporter à la décision des avocats du tribunal du duc de Thébaïde (σχολαστικοὶ φόρου Θηβαΐδος) 6. Une autre fois, la décision (τύπος) est prononcée par trois μείζονες d'un village 7. Il sembla d'ailleurs que ces derniers fonctionnaires jouent un rôle de surveillance dans les affaires d'arbitrage 8.
D'autre part, la juridiction ecclésiastique existe depuis l'époque de Constantin1; même dans les affaires civiles, il peut arriver que les parties se soumettent volontairement à l'arbitrage de l'évêque 2 si bien que les fonctions de juge et d'arbitre viennent alourdir le fardeau épiscopal3. La validité des sentences rendues par l'évêque dans son audience (episcopalis audientia) est garantie et reconnue par les lois4. Toutefois, depuis la constitution du 27 juillet 398, qui abrogeait, pour une des parties, le droit d'exiger, en matière civile, le renvoi de l'affaire au tribunal épiscopal malgré la volonté contraire de la partie adverse, la justice épiscopale est assimilée à l'arbitrage5.
En dehors des tribunaux du pays, les habitants de l'Égypte avaient la faculté de porter directement leurs affaires devant le tribunal de l'empereur, à Byzance. On sait que les plaignants suivaient en par eille occurrence la procédure dite supplicatio, en faisant parvenir au tribunal impérial un libelle pour obtenir un jugement ou rescrit 1 (θεῖοι τύποι, θεία κέλευσις). Après que le préfet a prononcé une sentence conforme (ἀποφάσις), un exsecutor negotii (ἐκβιβαστής) est désigné pour faire exécuter le jugement 2.
Justinien a supprimé les rescrits impériaux dans la procédure civile et criminelle d'après la Novelle CXIII, en 538; cependant l'usage en persista; les papyrus ont conservé en effet quelques rescrits impériaux rendus à Byzance pour des Égyptiens3. Justinien obéissait ainsi au goût qu'il eût toujours pour le rôle de juge4; en outre, la procédure par rescrit renforce l'action du pouvoir central; elle offre le moyen de faire sentir l'autorité lointaine du basileus aux provinciaux trop habitués à recourir à l'influence locale des grands qui s'exerce journellement autour d'eux dans leur bourg ou leur cité5.
Les juridictions particulières, tribunaux militaires et tribunaux ecclésiastiques, se retrouvent au VIe siècle.
Dans la pratique, la juridiction militaire se confond avec la juridiction civile quand il s'agit du tribunal du duc, mais il n'en est pas de même dans les autres cas. Il existe en effet des tribunaux purement militaires, composés d'officiers, devant lesquels peuvent être portés même les procès de famille où figurent des soldats comme partie1. D'autre part, les membres du clergé sont soumis à la juridiction de l'évêque2; les clercs ne doivent point paraître devant un tribunal séculier, sinon pour un procès criminel; mais la sentence rendue par ;'évêque doit être exécutée par le juge du lieu si les parties en conviennent3. Sous Héraclius, l'immunité des clercs en matière judiciaire fut étendue encore: dès lors, l'évêque jouit du droit de faire exécuter la sentence; de plus, dans toute affaire concernant un ecclésiastique, l'instruction étant confiée à l'évêque, l'accusé n'était remis à la justice laïque que s'il était reconnu coupable par le tribunal épiscopal 4.
II. — De l'appel.
Les modifications introduites par Justinien dans l'administration de la justice portèrent plutôt sur le mécanisme de l'appel que sur les juridictions elles-mêmes. Celles-ci n'avaient guère été modifiées, en effet, en dehors des changements survenus dans les attributions nouvelles accordées au duc et des pouvoirs plus étendus conférés au défenseur par la Novelle XV.
D'après celle-ci, on en appelle du tribunal du defensor civitatis au tribunal du gouverneur de la province5. En l'espèce, il s'agit alors du praeses, mais il se pourrait que les choses eussent changé avec les transformations apportées dans la hiérarchie byzantine en Égypte par l'Édit XIII et qu'on ait dû alors en appeler au duc, et non plus au praeses, des jugements rendus par les défenseurs des cités. L'hypothèse n'est pas invraisemblable, mais aucun texte ne la confirme.
Il est probable qu'on en appelait des jugements des pagarques au tribunal ducal. On possède une pétition au duc de Thébaïde, dans laquelle la veuve Sophia se plaint des mauvais traitements dont elle a été l'objet de la part de son second mari; déjà elle s'était adressée au pagarque qui s'est prononcé en sa faveur, mais la sentence a été sans effet; aussi Sophia a-t-elle recours à la justice ducale1. On pourrait objecter que ce n'est peut-être pas là, à proprement parler, un appel; que la veuve s'adresse au duc dans l'espoir que ses décisions seront mieux respectées que celles du pagarque. Mais Sophia aurait-elle eu le droit de choisir ainsi son tribunal? N'est-il pas plus vraisemblable de supposer que nous sommes en présence d'une procédure régulière?
D'après un papyrus du Caire, on voit que dans la pratique on pouvait en appeler au duc des jugements prononcés par son topotérète. Il s'agit de l'affaire du fermier des héritiers du comte Phoibammon2. Estimant que les topotérètes l'ont obligé injustement à payer des impôts, le fermier en appelle au duc de Thébaïde.
Lorsqu'il entreprit de lutter contre les lenteurs d'une administration qui obligeait parfois les parties à de longs et coûteux déplacements, Justinien fut surtout frappé des inconvénients qui résultaient de l'absence d'un tribunal d'appel entre le tribunal du gouverneur de province et celui du préfet du prétoire à Byzance3. La capitale est ainsi encombrée d'une foule de provinciaux, entraînés à des dépenses telles que parfois la somme en litige dans les procès qu'ils ont entamés se trouve absorbée entièrement par les frais de justice; en outre, les plaideurs ont peut-être laissé leurs cultures à l'abandon pendant qu'ils grossissaient le nombre des oisifs de la grande ville, cependant que les hauts fonctionnaires de la capitale sont troublés ainsi pour des causes de peu d'importance 1.
Justinien se décide donc à instituer des tribunaux intermédiaires entre le tribunal du préfet du prétoire à Byzance et les tribunaux des gouverneurs de provinces. Cette réforme est appliquée en Égypte en 536. Dans la Novelle XXIII, l'empereur autorise l'augustal d'Alexandrie à juger sans appel et sans recours ultérieur possible toutes les causes d'une valeur inférieure à cinq cents sous d'or2.
Cette situation exceptionnelle de l'augustal dans la juridiction de l'Égypte fut modifiée lorsque l'augustal eût perdu son rang de vicaire du diocèse et fût devenu un simple gouverneur civil et militaire d'un duché. En effet, d'après la Novelle XXIII, on voit qu'on pouvait en appeler à l'augustal sans recours ultérieur pour les causes d'une valeur inférieure à cinq cents sous d'or, lorsque le premier jugement avait été rendu par un praeses; il ne saurait être question d'en appeler à l'augustal pour un jugement de première instance rendu par un fonctionnaire ayant le rang de spectabilis; or, tel est justement le cas des ducs d'Égypte qui ont le titre de περίβλεπτοι après la réforme de l'Édit XIII. On devait donc, conformément aux prescriptions de la Novelle XXIII, porter les appels à Byzance devant les tribunaux du préfet du prétoire et du questeur pour les jugements rendus par les ducs d'Égypte; mais nous n'avons jusqu'ici aucun exemple de procès jugés par eux en première instance dont on ait appelé ensuite à Byzance.
En dehors du tribunal de l'empereur, les parties ont la possibilité d'en appeler au tribunal de l'évêque des sentences des magistrats3.
Les lenteurs de la procédure n'étaient point, comme on pense, le seul abus régnant dans la justice au VIe siècle. La corruption des juges, indifférents à leurs devoirs ou poussés par la cupidité, sollicitait également des réformes que Justinien s'efforça de réaliser dans les Novelles LXXXIII et CXXVIII.
Les prescriptions qu'elles renferment à l'usage de tous les fonctionnaires de l'Empire, qui avaient part à l'administration de la justice, pouvaient certes trouver leur application en Égypte, où la justice, objet de marchandages sans pudeur, était, comme dans toutes les provinces, vendue au plus offrant.
III. — La Police.
Le duc est le chef de la police dans sa province. Il fait respecter l'ordre public par ses soldats1; il assure la perception régulière des impôts en faisant soutenir à main armée les agents du fisc2.
Dans l'éparchie, c'est le praeses qui joue le rôle de préfet de police; les mandats d'arrêt émanent, semble-t-il, de son officium3. Une prison est à sa disposition4.
L'Édit XIII apporte des détails précis sur l'organisation de la police dans les districts de Ménélaïtes et de Maréotis, spécialement troublés par le dangereux voisinage d'Alexandrie5. Le praeses de Libye y délègue un lieutenant chargé d'arrêter, de punir et de chasser les émeutiers de la grande cité tumultueuse qui s'y seraient réfugiés avec l'espoir d'échapper aux poursuites des agents de l'augustal. Le topotérète du praeses peut agir dans ce cas, soit de sa propre autorité, soit à la requête de l'augustal d'Alexandrie exigeant, par l'intermédiaire d'un commentariensis, l'extradition des coupables. Pour faire exécuter les décisions de son tribunal, arrêter les suspects et les livrer au commentariensis de l'augustal, le lieutenant du praeses de Libye a sous ses ordres, en dehors des fonctionnaires civils qui composent son bureau, cinquante soldats détachés de la garnison locale.
Si importantes que soient les fonctions de police confiées à l'armée cantonnée en Égypte1, les soldats ne sont point exclusivement chargés de faire régner l'ordre dans le pays. Des fonctionnaires spéciaux ordonnent ou exécutent les mesures de police dans les cités et dans le bourgs.
Dans les cités, la direction de la police est toujours confiée, au VIe siècle, aux défenseur2 et aux riparii3 placés sous son autorité4. Il est très vraisemblable que la charge de ces derniers est, comme au Ve siècle5, une liturgie, bien qu'elle comporte une rétribution6.
Les riparii qui exercent, comme on l'a vu, une juridiction de simple police, sont chargés, avant tout, de maintenir l'ordre dans la ville7, de s'assurer de la personne des accusés et de les faire comparaître devant les juges8.
Ayant hérité des prérogatives des stratèges de ville de l'époque romaine9, ils lancent des mandats d'arrêt contre les suspects et les coupables10. Ils prêtent également leur concours au tribunal pour la notification des sentences1. Ils ont à leur tête un archiupêrétès2; des courriers (σύμμαχοι) sont sous leurs ordres3. Les décisions qui émanent de leur bureau sont transmises aux irénarques4.
Ceux-ci sont dirigés par un tribun5.
Les gardes de ville6 et leur chef7, dont il est parfois question dans les papyrus, paraissent se distinguer des irénarques, mais on ne saurait préciser leurs fonctions.
Une prison était installée dans chaque cité8.
Dans les bourgs, il y a également des ῥιπάριοι9. C'est sur les notables que retombe le soin d'arrêter les accusés et de les envoyer devant les tribunaux10, celui du praeses par exemple, au reçu des ordres émanant du tribunal en question.
Sans doute les protocomètes, qui ont à leur disposition la force publique11, font-ils opérer les arrestations par les fonctionnaires spécialement chargés de la police, les irénarques du bourg1, placés sous les ordres d'un tribun2 et nommés par le praeses3.
On trouve également dans les bourgs les phylacites4, qui ont à leur tête un κεφαλαιοτής5.
Les irénarques et les phylacites forment ainsi un corps de gendarmerie locale qui s'oppose à la force militaire représentée par l'armée impériale. Il arrive que soldats et gendarmes collaborent pour assurer l'ordre dans tel canton6.
Dans le cas où les protocomètes et les forces de la police locale seraient impuissants ou négligeraient de livrer les coupables, par suite d'une mauvaise volonté évidente, on a recours aux soldats. Un tribun de la ville voisine est requis pour la circonstance par les autorités compétentes, et bientôt arrive sous sa conduite une patrouille destinée à mettre les gens à la raison7.
En dehors des gendarmes locaux, il existe toujours, au VIe siècle, dans les villages égyptiens, d'humbles fonctionnaires de police préposés à des fonctions précises et variées. Les gardes-champêtres jouent un rôle important dans la κώμη; ils paraissent sous les ordres d'un irénarque8. Les bergers (ποιμένες)9 affectés à la garde des troupeaux et les gardes préposés aux champs (ἀγροφύλακες)1 doivent également veiller à l'irrigation des cultures, s'occuper de divers travaux publics, assurer l'ordre et faire comparaître les gens cités en justice. Le territoire du bourg est divisé en sections (δεκανείαι); à chacune est affecté un ou plusieurs gardes, en vertu d'un contrat passé entre le κοινόν des bergers et les fonctionnaires du bourg2. Les bergers et gardes-champêtres doivent être placés sous la dépendance directe du riparios, puisque c'est à ce dernier que sont adressés les actes dans lesquels leurs cautions se portent garants de leur exactitude à remplir leurs devoirs2.
Divers agents de la police locale figurent dans un amusant rapport, un texte sur papyrus de la collection du Louvre, relatant les prises qui ont été faites pendant le mois de mesoré avec les motifs des arrestations opérées; parmi les fonctionnaires de police qui figurent dans ce papyrus, on trouve les bergers, l'ἀντιγεόυχος, un comte qui est chartularius, un riparios, un ἔκδικος4.
Dans les régions situées à la limite du désert, en Thébaïde notamment, où les caravanes risquent d'être attaquées par les pillards, des tours fortifiées servent de refuge en cas de danger pressant; le gardien de la tour (πυργοφύλαξ) est l'agent de police spécialement affecté à ces postes5.
Les fonctionnaires de police du bourg paraissent être des liturges, comme à l'époque romaine6.
Les grands propriétaires, qui possèdent en Égypte une puissance considérable et une grande autonomie, qui lèvent et entretiennent des troupes de bucellaires sur leurs domaines, ne jouissent pas, il est vrai, de la juridiction sur leurs terres; mais ils ont leur police particulière.
Nous possédons un contrat passé entre un propriétaire d'Oxyrhynchos, Flavius Apion, et un protophylax, chef de ses gardes particuliers1. Sur les domaines des Apion, famille de riches propriétaires fonciers et de hauts fonctionnaires, le service de la police est assuré non seulement par des gardes-champêtres mais aussi par des riparii privés2. Parfois un certain nombre de propriétaires se réunissaient pour entretenir à tour de rôle leurs riparii8.
Il existait sans doute dans les grands domaines du sud et dans ceux qui étaient exposés aux razzias des nomades un service de gardiens des tours chargés de prévenir des dangers qui pouvaient surgir du désert tout proche4. Il est vraisemblable qu'une prison existait dans les domaines importants5.
Conclusion
Un effort, somme toute considérable, a donc été tenté au VIe siècle pour rénover l'organisation administrative de l'Égypte, tombée en pleine décadence au grand dommage des intérêts de Byzance. Avec une habileté incontestable, Justinien s'est gardé d'opérer une transformation brutale dans les institutions établies, tout en pratiquant des innovations sérieuses; usant d'une méthode pleine de souplesse, tantôt il se borne à rappeler aux habitants de la province et aux fonctionnaires leurs devoirs trop méconnus, en énumérant avec la denière minutie les détails de l'administration, tantôt il rompt nettement avec le passe pour recourir aux mesures les plus énergiques. Toujours, il poursuit avec une ténacité et une confiance inébranlées un but unique.
- ^Édit XIII, II, 2: «τοῦ περιβλέπτου δουκὸς… ἔχοντος πᾶσαν ἐξουσίαν [ἐν] τοἴς εἰρημένοις τόποις χρημάτων τε ἕνεκεν καὶ ἐγκλημάτων κα' δημοσίων εἰσπράξεων». Les tribunaux égyptiens s'opposent aux tribunaux de Byzance, au tribunal de l'empereur, par exemple: ἐν δικαστηρίοις ἐπιχωρίοις τε καὶ ὑπερορίοις. Cf. P. München, 7, 1. 79.
- ^P. München, 14, 1. 72.
- ^P. Caire, 67.004.
- ^Id., 67.002; P. Lond., V, 1674.
- ^P. Caire, 67.009.
- ^P. Caire, 67.006.
- ^P. Caire, 67.279; P. Lond., V, 1675; 1676, sont aussi des pétitions adressées au duc pour des impôts exigés de particuliers.
- ^P. Caire, 67.005.
- ^P. Caire, 67.003.
- ^P. Caire, 67.007.
- ^Vie et récits de l'abbé Daniel (Revue de l'Orient chrétien, V, p. 389). P. S. I., VII, 800, est un fragment de pétition au duc.
- ^P. Caire, 67.003.
- ^P. Caire, 67.009. Cf. Ed. Anast., 14, où figure le σουβσκριβενδάριος.
- ^P. Lond., V, 1678.
- ^P. Caire, 67.003; P. Lond., V, 1677; 1678. Dans P. Caire, 67.068; c'est un militaire, un stratélate, qui joue ce rôle d'intermédiaire entre la partie et le juge.
- ^P. Caire, 67.009.
- ^Édit XIII, I, 15; II, 4. Dans un papyrus (P. Caire, 67.090), on voit un commentariensis, attaché probablement à l'officium du duc de Thébaïde, délivrer un sauf-conduit à trois protocomètes d'Aphrodito et au βοηθός. Il est très possible, comme le suppose J. Maspero, qu'une enquête ayant été ouverte au tribunal ducal, le commentariensis mande les personnages en question comme prévenus ou comme témoins. Le commentariensis figure dans P. Caire, 67.054, I, 3.
- ^Cf. le commentaire de H. I. Bell à P. Oxy., XVI, 1877, 2.
- ^Édit XIII, I, 3; Bethmann-Hollweg, Civilprocess, III, 162 ss.
- ^On a démontré que l'expression σχολαστικός φερου θηβαίδος qui se trouve dans les papyrus ne saurait désigner que les avocats du tribunal ducal: P. Collinet, dans Revue de Phil., 1912, XXXVI, p. 132. Ces avocats paraissent, à la fin du VIe siècle, être attachés à la personne des gouverneurs en qualité de conseillers juridiques. Cf. Ch. Diehl, L'administration byzantine dans l'exarchat de Ravenne, p. 153.
- ^P. Caire, 67.279. Ce sont les topotérètes d'Antaiou qui ont condamné un certain fermier à payer des impôts qu'il prétend être à la charge de ses patrons.
- ^Nov. Just., VIII, 4; CXXVIII, 19; CXXIV, 1. L'usage du topotérète n'est légal que dans des cas exceptionnels: Édit XIII, II, 4.
- ^A moins que le pagarque lui-même ne soit délégué par le duc en qualité de topotérète. Peut-être est-ce ainsi qu'il convient d'expliquer un texte où le topotérète ducal apparaît avec le pagarque comme l'exécuteur de la sentence prononcée par le duc; cf. P. Caire, 67.003: les moines du couvent des Apôtres Christophores, s'adressant au duc, supplient sa grandeur: προστάξαι τῲ παγάρχη τῆς Ἀνταίο(υ) κα' τῲ τοποτερητή τα της ἀφ' ἡμῶν αποτρέψαι.
- ^P. Caire, 67.009, 20.
- ^Vie copte de Schnoudi, fol. 26. (Mem. Miss. Archéol., IV, I, p. 12.)
- ^P. Caire, 67.003.
- ^Édit XIII, II, 2. Le duc de Libye a la juridiction en matière civile et criminelle: «ὥστε μέντοι τὸν [ἀρχον]τα τὸν ἐπὶ Λιβύης ὑποκείσθαι τῷ περιβλέπτῳ δουκί».
- ^Id., II, 4: «τῶν τε δικῶν χρηματικῶν κα' ἐγκληματικῶν».
- ^P. Oxy., XVI, 1919: il s'agit de dépenses qui ont été faites: τῷ μεγαλοπρ(επεστάτῳ) ἄρχοντι καὶ τῷ λογιωτά(τῷ) αὐτοὺ σ[υ]μπόν(ῳ) (ὑπὲρ) ἀν(αλωμάτων τοῦ δικαστηρ(ίου).
- ^Une requête dans laquelle les plaignants demandent à être relaxés, en faisant valoir, qu'ils sont de pauvres travailleurs (P. Caire, 67.020), est peut-être adressée au praeses, mais la chose n'est pas évidente. Dans P. Caire, 67.131, il s'agit simplement d'un acte passé devant le praeses de Thébaïde: Théodose, courrier de l'officium, donne décharge d'une dette de quinze sous d'or 1/3 aux héritiers d'un certain Isidore, son ancien collègue; la lecture du mot praeses est d'ailleurs douteuse (1. 30) et il se pourrait comme le suggère von Druffel (Papyrologische Studien, p. 54) que le président de la séance fût plutôt le defensor. Dans P. Oxy., XVI, 1829, il est question de la présentation d'un testament au praeses mais s'agit-il vraiment d'un différend au sujet duquel on avait à produire le testament (cf. διαλαλία 1. 3 et 13) ou simplement d'une présentation du testament en vue d'une insinuatio apud acta? Pas plus que l'éditeur du texte, on ne saurait se décider pour l'une plutôt que pour l'autre de ces hypothèses.
- ^P. Caire, 67.094: quatre habitants d'Aphrodito répondent au pagarque de la personne d'un moine.
- ^P. Lond., V, 1683. Cf. 1682: une plainte a été adressée par un protocomète d'Aphrodito, au pagarque vraisemblablement, au sujet d'un berger qui a molesté les gens de Discore; le pagarque a fait savoir au berger qu'il eût à s'abstenir. D'après P. Caire, 67.005, une femme a déposé devant le pagarque une plainte contre un certain Senouthes, qui a fait périr son second mari et s'est livré à des violences à son égard: le pagarque a rendu un jugement en sa faveur.
- ^Nov. Just., XV, 5.
- ^Ibid.
- ^Nov. Just., XV, 6: ἐπὶ τοὶς μείζοσιν ἐγκλήμασιν ἐλισομένους φρουρήσουσι καὶ ἀναπέμψουσι πρὸς τὸν τῆς ἐπαρχίας ἡγούμενον.
- ^P. Oxy., XVI, 1885: [καὶ ταὺ]τα γνώριμα καταστῆσαι τὴν ὑμετέραν ἐλλογιμ(ότητα) τῷ τὰ πάντα μεγαλοπι(επεστάτῳ) κα' σοφωτά(τῳ) [κυρίῳ] ἡμῶν ἄρχοντι πρὸς τῶν γεγενημένων ἐκδίκησιν.
- ^Nov. Just., XV, 3. Cf. H. Monnier, 'La Novelle L' de Léon le Sage et l'insinuation des donations (Mélanges P. F. Girard, t. 2, p. 253). On trouve dans la collection du Caire un contrat de mariage qui aurait été enregistré par le defensor: P. Caire, 67.006, 75: ἐκλήμψοντα τοῦ ἐκδίκοῦ πρὸς τῷ αὐτὸν ἐντελεστέραν ασφάλειαν καὶ εκσφράγισμα τοῦ ἐκδίκου Ἐυλυκοπολιτῶν.
- ^B. G. U., 401: un jardinier cautionne un σύμμαχος auprès du comte Aurelios Gerontios, ἐκδικος d'Arsinoé.
- ^P. Oxy., XVI 1882; P. S. I., VII, 790: on demande au defensor de faire un ἐκμαρτύριον.
- ^Le defensor d'Arsinoé sert d'intermédiaire entre les priores du numerus des Transtigritains et les gens de Kerké qui leur avaient refusé les prestations légales et leur présentent des excuses (B. G. U., 836): «διαμαρτύραντο δὲ ἡμᾶς ἐγγράφως δ[ιὰ τοῦ λογ]ιωτάτου ἐκδίκου τῆς Ἀρσινοϊτῶν». D'autres fois, le défenseur apparaît comme le gardien des bonnes mœurs: le défenseur d'Arsinoé reçoit d'un jardinier la promesse d'empêcher tout rapport entre un certain Nilammon σύμμαχος et une certaine Théodora (B. G. U., 401); cf. C. Wessely, Studien, X, 252. Les pétitions adressées au défenseur sont souvent relatives à des dettes: P. Oxy., XVI, 1883; 1884; 1886. P. Oxy., XVI, 1943, est une pétition du κοίνον des στιπποκογχιστοί qui ont à se plaindre d'un collègue. C'est par l'intermédiaire du defensor d'Oxyrhynchos qu'un personnage adresse un acte de rupture (ρεπούδιον) au au fiancé de sa fille Euphemia (P. Oxy., I, 129). Cf. P. München, 6, 1. 8: «Μάρκος σχ(ολαστικὸς) καθ' ὁ συννίδον ἔκρινα». Dans P. Lond., V, 1709, est mentionné le παντέκδικος de Siout; il s'agit d'une dispute relative à une dot.
- ^P. S. I., 686: pétition au defensor d'Oxyrhynchos par un certain Isaac, maltraité par un personnage portant le même nom.
- ^On possède le procès-verbal d'une audience tenue par l'avocat Flavios Paulos en sa qualité de defensor d'Antaiopolis; il s'agit d'un transfert de terres publiques à opérer entre le village de Thmonechthé et celui d'Aphrodito. Le débat se passe entre Psimanobet, peradjutor du defensor qui a demandé le transfert, Phoibammon, adjutor du bureau des comptes d'Aphrodito, et Apollos, un protocomète du vilage, (P. Caire, 67.329). Ce texte qui date de 529–530 est antérieur, il est vrai, à la Novelle XV, mais celle-ci n'a pu réduire la compétence du defensor pour une affaire de ce genre.